vendredi 5 octobre 2012

Contre-sens

En ce soir de Shabbat, je voudrais partager avec vous un extrait du Psaume 13,
dans lequel le roi David crie sa crainte d'être abandonné de Dieu :
 
 

Psaume 13 -3 :
[...]
Jusqu'à où
imposerai-je des avis
en mon âme

affliction
en mon coeur
chaque jour
jusqu'à où
(pause)






Je voudrais attirer votre attention, par ce passage en particulier, sur les faiblesses et même les erreurs, souvent les contre-sens des différentes traductions qui sont faites des textes bibliques en général.

Cette 1ère traduction, par Chouraqui, du Psaume 13 est faite directement depuis l'hébreu, et quasi mot à mot. Elle respecte l'esprit du chant hébraïque.

J'ai pris néanmoins quelques libertés avec la traduction de Chouraqui : j'ai restitué la forme en palindrome
pour revenir encore plus à "ce qui est écrit", notamment les "jusqu'à où" qui ouvrent et qui ferment la phrase.
J'ai aussi supprimé au passage la ponctuation (virgules, points d'interrogration) qui ne figurent pas dans le texte d'origine (et pour cause, on ne les inventera que dans 1500 ans ...)

Le palindrome est une forme de phrase classique en hébreu biblique : la motivation artistique en était probablement la musicalité que permet cette forme (Même si on attribue traditionnellement la paternité de cette figure de styl
e aux Grecs).
Mais la forme littéraire du palindrome ne doit pas être assimilée à une simple insistance par accumulation : Le roi David ne cherche pas à nous apitoyer sur les affres de son âme en plus de celles de son coeur.
Car le palindrome est porteur d'un sens très particulier : La césure centrale, non matérialisée dans la forme, véhicule une relation de cause à effet : Ce sont les avis extérieurs imposés à mon âme qui provoquent l'affliction de mon coeur, chaque jour.
Le verset véhicule, de par cette relation de cause à effet, un message en creux et néanmoins très précis : Que mon âme cesse de se faire imposer des avis humains extérieurs, et la tristesse dans mon coeur diparaitra immédiatement : Il n'y a de repos pour mon coeur que dans la confiance que mon âme saura mettre en l'Eternel.

Et effectivement, le message est redit en contraposée, et devient explicite à la fin du psaume, puisque c'en est la conclusion :

Psaume 13 -6 :
Or moi j'ai confiance en ta bonté, mon coeur est joyeux de ton secours










C'est maintenant que ca se gâte.
Consultons 3 traductions classiques (Allemand, anglais, français) et voyons comment ce merveilleux message est retranscrit en langue vernaculaire :

Luther :
Wie lange soll ich sorgen in meiner Seele und mich ängsten in meinem Herzen täglich.


Luther fait vraiment ce qu'il veut avec le texte : il a décidé ici de jouer l'accumulation des peines. Il fait d'abord disparaitre toutes références aux avis/conseils humains. Il met ensuite directement en apposition les souffrances, de l'âme et du coeur, en introduisant la notion de "sorgen" de l'âme qui n'est pas du tout dans le texte, mais qui fait écho dès lors à l'"ängst" du coeur.
Il rajoute un "und" qui n'existe pas dans le texte, qui va dans le sens de l'appositon-accumulation, mais fait disparaître toute la relation cause-effet :
Sauvage ...

King James :
How long shall I take counsel in my soul, having sorrow in my heart daily.


Le roi James, lui joue la carte surprise de l'introspection : "prendre conseil dans mon âme" Mais il a vu ça où ? Le texte dit l'inverse : ce sont les conseils reçus de l'extérieur qui provoquent la peine du coeur.  Carrément à l'inverse du message de David, qui milite justement pour le fait de prendre conseil dans son âme, en ayant confiance dans l'Eternel, pour faire disparaitre toute peine du coeur.
Il n'a rien compris le pauvre James.

Segond : 
Jusqu'à quand aurai-je des soucis dans mon âme, et chaque jour des chagrins dans mon coeur.
La traduction aseptisée catho tradi option Calimero :  Tous méchants avec mon âme et mon coeur. Visiblement Segond a été influencé par Luther, car les "soucis de l'âme", qui apparaissent ex nihilo, viennent visiblement des "sorgen" de la traduction allemande. Toute la rugosité du texte est gommée pour une simple lamentation en apposition, donc sans queue ni tête, sans plus de référence à une cause et une conséquence, et donc sans début ni fin : La misère sur cette terre ad vitam aeternam ...
C'est faux !

Je retiens ici en conclusion ce qu'il faut retenir de ce psaume 13, dans la version française très lyrique du Rabbinat :

Or moi j'ai confiance en ta bonté, mon coeur est joyeux de ton secours
Je veux chanter l'Eternel, car il me comble de bienfaits.

Chouraqui, lui nous dit :
Mais moi je suis assuré dans ton chérissement, mon coeur s'égaye dans ton salut, je poétise pour l'Eternel, oui il me rétribue.
Précis certes, mais vraiment trop aseptique ...



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