lundi 22 septembre 2014

Il y a 100 ans ...

Article du Figaro du jour, In memoriam

Le 22 septembre 1914, disparaissait l'auteur d'un seul roman resté mythique pour des générations, Le Grand Meaulnes.

«Je n'entends plus les coups de revolver que tirait à trois mètres de moi le lieutenant Fournier ; je cherche mon chef: il gît à terre sans bouger.»
Le sergent Baqué, rescapé de la 23e compagnie raconte la mort de l'écrivain Alain-Fournier, tué en fin d'après-midi le 22 septembre 1914. L'homme d'un seul livre disparaît, dans l'anonymat des soldats tués au combat.

Henri Alban Fournier dit Alain-Fournier, est né le 3 octobre 1886 dans le Cher, «pays que l'on ne voit qu'en écartant les branches». Ses parents tiennent chacun une classe à l'école d'Épineuil-le-Fleuriel. Son quotidien de fils d'instituteurs deviendra celui de François Seurel dans Le Grand Meaulnes.

À Lakanal, où il prépare le concours de l'École normale supérieure, Henri Fournier fait la connaissance de Jacques Rivière, futur directeur de la NRF. «Je tiens à lui avec violence», raconte Rivière à propos de Fournier. Ils entretiendront une longue correspondance qui permettra d'en savoir beaucoup sur l'écrivain du Grand Meaulnes.

Dans l'esprit de Fournier, Le Grand Meaulnes mûrit dès 1909. Il parle régulièrement de «son livre» à ses amis, et les amours et les rencontres de sa vie deviendront la matrice de son roman. Il compose son livre de 1910 à 1912, alors qu'il s'éprend de Jeanne Bruneau, future Valentine du Grand Meaulnes.

Le roman paraît en 1913. A Jacques Rivière, Henri Fournier écrit: «Je ne demande ni prix, ni argent, mais je voudrais que Le Grand Meaulnes fût lu.» Le livre culte pour des générations d'adolescents échoue à la dernière marche du Goncourt, décerné cette année-là au Peuple de la mer de Marc Elder, inconnu aujourd'hui. La même année, Marcel Proust publiait Du côté de chez Swann. L'histoire des prix littéraires est faite de cruautés.

Au printemps 1914, Fournier propose à Hachette d'écrire une version pour la jeunesse du Grand Meaulnes. L'affaire n'aura pas de suite. Il commence un nouveau roman: Colombe Blanchet, et une pièce de théâtre, La Maison dans la forêt. Deux manuscrits inachevés. La guerre est là.

Le corps retrouvé 77 ans après sa mort


En 1914, à l'heure de la mobilisation, Henri Fournier écrit à sa sœur: «Je pars content.» Le 19 septembre, il envoie la dernière lettre à ses parents. Il s'ennuie et croit en une victoire rapide. Le 22 septembre, il est tué au contact de l'ennemi dans le bois de Saint-Rémy sur les Hauts de Meuse. Pendant 77 ans, son corps restera introuvable, avant qu'on ne le déterre d'une fosse commune où l'avaient jeté les Allemands.

À sa mort, Paul Léautaud, Paul Fort, Guy-Charles Cros et les critiques littéraires rendent hommage à l'écrivain du Grand Meaulnes. Dans Le Figaro, Julien Benda salue cet «être de choix qu'on voudrait soustraire au danger». Jacques Rivière, à la fin de la guerre, s'en va même refaire les derniers pas de son ami dans le bois de Saint Rémy: «Tout le monde ne sait peut-être pas qu'il est assez dur de s'avancer tout vivant, au comble de sa force, entre les bras de la mort.»

«Vous irez loin Fournier»

Après la célébration du centenaire du Grand Meaulnes l'année dernière, Ariane Charton, a publié au mois de février une biographie d'Alain-Fournier. Ouvrage fourni, rempli de notes et de références, on y découvre le cheminement de l'écrivain, ses fréquentations, son pays de Sologne et sa vie à Paris. Dans une édition établie par Ariane Charton toujours, Le Mercure de France dans Lettres à Jeanne a exhumé cette année les lettres et textes de l'écrivain pour Jeanne Bruneau, on découvre que les lettres et notes prises lors de leurs rencontres sont autant d'ébauches qui conduiront à la rédaction du Grand Meaulnes.

La Maison École du Grand Meaulnes, à Epineuil, continue aussi de faire vivre l'écrivain dans son pays. Ce week-end, les enfants de l'école lisaient des textes du Grand Meaulnes dans les lieux qui ont inspiré le romancier. La maison organise régulièrement des évènements autour d'Alain-Fournier: conférences, lectures, expositions, soirées musicales…

Alain-Fournier fait partie des écrivains fauché par la mitraille de 1914, comme Louis Pergaud, Jean de La Ville de Mirmont ou Charles Péguy quelques jours avant lui. Péguy qui écrivait en 1911 à Henri Fournier: «Vous irez loin Fournier, vous vous souviendrez que c'est moi qui vous l'ai dit».

Cent ans après sa mort, l'auteur, intimement lié à son unique roman, a traversé le siècle sans vieillir.

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