samedi 10 mars 2018

De Paris à Calais

Chassés de Paris par la spéculation immobilière, causée par les travaux Haussmann, les habitants de la « Zone » vivaient dans des bidonvilles autour de la capitale.

"Zoniers" Porte d'Italie, 1913.
Photo Eugène Atget, Gallica 
La « Zone » désignait à l'origine un espace géographique bien précis : celui de la bande de terrains de vagues qui s'étendait à la périphérie de Paris entre l'emplacement des anciennes « fortif' » (l'enceinte construite par Thiers en 1844) et la banlieue.

La Zone, large de 250 mètres, était "non aedificandi", c'est-à-dire qu'il était interdit, pour raison militaire, d'y construire quoi que ce soit. Pourtant, toute une population pauvre y vivait. C'étaient les « zoniers », peuple d'indigents chassés du centre de la capitale par les transformations démographiques et économiques de la seconde moitié du XIXe siècle.

Avec les travaux d'Haussmann sous le Second Empire, Paris a en effet accueilli de nombreux ouvriers venus chercher du travail ainsi que des paysans chassés par l'exode rural et transformés en prolétaires urbains. À la fin du siècle, la spéculation immobilière ayant rendu la vie parisienne beaucoup plus chère, ceux qui ne parviennent pas à s'intégrer dans ce nouvel environnement sont relégués à l'extérieur.

La périphérie parisienne voit donc croître ces espaces d'urbanisme sauvage, véritables bidonvilles où s'amassent des milliers d'indigents qui vivent dans des roulottes ou des baraques de fortune, sans aucune commodité (eau, toilette, évacuation) et souvent situées au beau milieu des détritus.

Nombre d'entre eux sont chiffonniers : ils vivent de la récupération des déchets de la ville, qu'ils cèdent aux usines spécialisées dans le recyclage ou transforment afin de les revendre dans la capitale.

Pendant des années, la municipalité de Paris se sera efforcée de faire appliquer la loi sur l'interdiction de construire. Dans les années 1890, le Génie militaire entreprend ainsi d'expulser les résidents. Beaucoup de journaux s'en émeuvent. Le Petit Journal dénonce l'inhumanité des autorités :





« Est-ce que l'ennemi est à nos portes, et quand même il approcherait, vous avez bien vu le peu de temps qui suffisait à détruire ces misérables cahutes ; vous n'aviez pas besoin de vous y prendre autant à l'avance. Il y avait des enfants malades dans ces baraques. Et ces malheureux qui fuyaient, emportant dans une mauvaise couverture leurs enfants grelottant de fièvre, croyez-vous qu'ils n'aient pas jeté des regards irrités sur des constructions bien plus importantes que leurs masures, et que l'on autorise sur la zone militaire ? »


Le 19 avril 1919, les fortifications de Paris sont déclassées – elles seront démolies peu après. Légalement, la Zone n'est plus. Tandis que les spéculateurs immobiliers se frottent les mains devant l'apparition de ces terrains « libres », les zoniers sont priés de lever le camp :

« 100 000 zoniers doivent partir. Ils ont trois mois pour démolir leurs habitations. Faute de quoi, il y sera procédé par le génie militaire. »

Mon grand-père, arrivé en famille en 1913 au Pré Saint-Gervais a probablement commencé sa vie parisienne dans la Zone, au lieu qui deviendra en 1919, la Rue des 7 arpents :

La Zone des 7 Arpents.
Le Pré Saint Gervais







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